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jeudi 24 novembre 2016

Le royaume du trine- Au fil de la vie


Dédicace
              Je dédie cette trilogie, écrite dans un style fantastique, à mon fidèle Olivier toujours verdoyant auquel j'ai entrelacé mes racines de Nymphéa depuis si longtemps, ainsi qu'à mes enfants Noémie (surnommée Zoé dans cette histoire) et Emmanuel, à mes petites filles Maelys et Joy, ainsi qu'à tous ceux qui se retrouveront au fil de ces pages.
Sophie Lavie
Avant propos



       

       " Il serait parfois tellement agréable et reposant de redécouvrir le monde qui nous entoure à travers les yeux d'un enfant, de pouvoir se comparer à une fleur ou à un animal, d'évoluer dans un univers grandiose et imaginaire où tout serait possible… De sa naissance jusqu’au seuil d’un monde à venir, c'est ce que va faire Nymphéa accrochée au fil de La Vie. Ce fil à la fois, invisible et éternel va l'entraîner dans une aventure extraordinaire racontée de façon allégorique par une grand-mère, voulant répondre au goût du symbole, du merveilleux, de la parabole si profondément ancrée dans l’âme de ses petites filles alors âgées de douze et quinze ans. Découvrez cet ouvrage comme un collier dont les perles sont autant de révélations et d'évènements extraordinaires et précieux qui se sont déroulés au cours de sa vie. Chacune d'elles sont enfilées sur le fil de La Vie que le Roi Howd lui a lancé un jour et qu'elle n'a plus lâché. Plus qu'un fil conducteur, c'est une sorte de câble indestructible qui s'ancre dans l'éternité, c'est un cordage d'amour divin qui a uni à jamais Nymphéa et Olivier, les héros de cette histoire. C'est une corde à trois fils qui se déroule dans le Royaume du Trine où vivent le Roi Howd, son Fils le Prince Logos - tour à tour Aigle et Berger - et une colombe, nommée Ruwach qui se transforme aussi en vent. À votre tour d'attraper le bout de ce précieux collier, si vous voulez remonter le fil de cette histoire sans fin…"
Sophie Lavie
       "Dans la Grèce antique, le sumbolon (symbole en français) était formé des deux morceaux d’un objet brisé, comme par exemple, un cœur en argent, une flamme de feu ou une poterie peinte. La réunion de ces deux pièces, par un emboîtement parfait, fournissait la preuve irréfutable de leur origine commune. De la même façon, à la lecture de cet ouvrage, le lecteur trouvera facilement, dans la foule des images qui lui sont proposées, comme une résonnance ou un écho répondant à sa propre recherche de spiritualité. Car cette trilogie, dont les pages semblent avoir trempé dans l’océan, au point qu’elles laissent sur les lèvres un léger goût de sel, n’est pas uniquement le récit du voyage géographique et temporel d’Olivier et de sa tribu. Il est aussi celui de l’équipée, voire de l’épopée spirituelle que vivent tous les habitants du royaume du Trine dont vous faites peut être déjà partie, ou que vous pouvez devenir..."
MG
 

Introduction

Naissance d'un nymphéa



              Fermant les yeux, grand-mère caressa la couverture de cuir souple incrustée d'éclats de sel qui recouvrait l'épais journal de bord qu'elle avait autrefois écrit de sa main. Inspirant profondément, elle en tourna délicatement les pages froissées et jaunies qui craquèrent comme si elles avaient longuement macéré dans l’océan, puis séché au soleil. Se tournant vers ses petites filles, avides de découvrir les trésors que cachaient ce vieux manuscrit, elle leur demanda :

       - Si vous étiez une fleur, laquelle seriez-vous ?
       - La marguerite folle ! s'écria Maelys en riant. Celle qui pousse en touffes colorées sur tous les sentiers. Sa graine est si légère qu'un simple souffle suffit à la semer, et elle change de couleur en fonction de son âge !
       - Et moi, la sensitive, cette belle petite fleur rose en pompon qui se referme en un instant lorsqu'on effleure ses feuilles, murmura Joy dans un sourire.
       - Moi, je serais un nymphéa, poursuivit grand-mère, parce que c'est une plante qui m'inspire à la fois la simplicité et la délicatesse, le calme et l'harmonie, autant que la douceur et la sensibilité. Comme posée sur les étangs dormants et poudrés, elle flotte sur les eaux calmes, un lieu qui, à mon sens, incite à la contemplation et à la méditation.
       Se laissant emportée par la douce fragrance florale et miellée qui se dégageait du vieil ouvrage, elle commença alors à en lire le récit d'une voix chuchotée :
       Ayant été un bébé potelé aux joues roses et aux yeux pers, l'héroïne de cette histoire fut donc appelé Nymphéa… Petit bouton de fleur rose et rebondi, elle étendit très vite ses racines pour grandir et s'épanouir toute en rondeurs et en couleurs tendres et acidulées ; mais la parure de ses pétales, pastel comme un lait fraise, laissait aussi entrevoir des aspects plus profonds et éclatants de sa personnalité, comme des sillons carmin et des reflets de framboises acidulées, délicatement dessinés. Comme une fleur qui éclot, Nymphéa naquit donc un matin de printemps, au cœur des pâturages drus et verdoyants. Et tel un écrin ruisselant, la campagne environnante lui offrit des glycines pour tentures et d'épais coussins d’herbes coupées pour matelas parfumé.
       Grand-mère releva un instant la tête et ses petites filles plongèrent avec insistance leurs regards dans ses yeux pers, comme s'ils reflétaient encore l'étang poudré de naguère :
       - Comparer l'héroïne de cette histoire à un nymphéa doit aussi vous rappeler la fragilité et la fugacité de la vie qui fait parfois de vulnérables fleurs des héroïnes malgré elles. Et puis le nymphéa renvoie aussi l'image d'un végétal aux lignes pures et solides, sans épines ni volutes sophistiquées, une plante aux racines profondes, féminine au sens originel du terme. Une fleur qui se décline, ici, sur la palette des roses, parce que ces teintes, qu'elles soient rose profond comme un bonbon, thé ou dragée, sont des sortes de friandises et de douceurs évoquant l'équilibre et diffusant une atmosphère paisible, réconfortante, romantique et tendre, pouvant aller jusqu'à la passion et la spiritualité la plus ardente. C'est une fleur aquatique qui se laisse porter au gré des courants nonchalants des étangs calmes et des vents murmurant, leur expliqua-t-elle en aparté, avant de poursuivre sa lecture.
       Contemplative, Nymphéa fut, elle aussi, une spectatrice privilégiée d’étranges ballets aquatiques, de chorégraphies aériennes d'akènes à aigrettes, de libellules et d'insectes marchant et dansant allègrement sur les eaux… Car dès son plus jeune âge, elle s'est aventurée à la découverte de ce cadre maritime et champêtre avec une insouciante curiosité, sur les traces géantes de son papa, main dans la main ou assise dans une brouette moelleuse chargée d’herbes fraîches ; elle a appris à apprécier la nature et à lui ouvrir tous ses sens. Elle a fait ses premiers pas en observant les escargots gluants, en effleurant les champignons couverts de rosée et en se piquant aux pissenlits dentés. Barbouillée de mûres écrasées, elle a barboté parmi les truites arc-en-ciel et dansé dans des nuées de papillons frêles ; et comme de petites naïades virevoltantes au cœur des graminées échevelées et détrempées, ses petits doigts ont effleuré les courants clairs et froids des rivières éblouissantes de lumières et de frémissements éphémères.
       Les saisons l'ont abreuvées de senteurs et de couleurs, chacune l’imprégnant jusqu’au cœur. Elles ont défilé, porteuses d’expressions, la marquant de leurs émanations : mémoire tactile et empreintes de doigts sur le printemps, alliant douceur de pétales fraîchement éclos et rondeur de bourgeons luxuriants ; chroniques d’été aux cerises lustrées et aux fraises sucrées ; souvenirs de forêts d’automne avec ses châtaignes policées et ses plumes huilées ; réminiscences d’hiver aux guirlandes de jacinthes satinées et de neige glacée, souvenirs olfactifs d’une maison cocon qui exhalait les baies mûres, l’arôme sucré des confitures, le vin chambré coulant vermeil et les feux de cheminée crépitant sans pareil !
       C’est ainsi qu'elle s'est ouverte à la vie : palpant, croquant, humant, les yeux grands ouverts, émerveillés, dans les prairies vertes et détrempées. Elle s'est imprégnée de simplicité rustique, entourée d’animaux familiers, fidèlement gardée par un chien pataud, déambulant parmi les canetons affamés et sautillant parmi les agneaux, caressant les poussins duveteux et les lapereaux au pelage soyeux. Le décor de sa plus tendre enfance avait une allure de jardin idyllique, un lieu de découverte et d'insouciante quiétude. Elle évolua, ainsi, parmi une abondance de poires juteuses et de framboises savoureuses, de bouquets de cassis acides et de groseilles translucides. Elle surgissait des feuillages géants, guignait les mange-tout bedonnants, toisait les tomates parfumées et se parait de bigarreaux cirés. Ce jardin à la terre noire et fertile était le berceau de sa vie, son jardin d'Eden, le lieu merveilleux de tous ses commencements.
       Dans l’atmosphère bucolique de cette nature effervescente, la rêverie n'a donc jamais quitté le domaine de ses sensations. Son âme poétique était reliée à la terre par tous ses sens, véritablement subjuguée par le charme de ces lieux inspirateurs. C'est ainsi que la nature, avec ses couleurs et ses brassées de fraîcheur odorantes, a fortement contribué à former en elle une impression de nostalgie édénienne l'incitant à rechercher ardemment le bonheur originel. Et cette soif d'absolu ne l'a jamais quittée, même si, elle dut bientôt partager son microcosme champêtre avec deux petites sœurs. La première naquit deux ans après elle, au cœur de l’automne. Elle fut appelée Ambre, parce que cette couleur lui allait à merveille. Elle ressemblait, en effet, à une petite goutte de résine solide et dorée cachant une petite abeille sous ses reflets de miel. C'était une enfant turbulente qui tournoyait comme un insecte pris au piège et piquait sournoisement pour tuer le temps et s'affirmer face à son aînée, son antonyme qu'elle s'ingéniait à toujours pousser plus loin dans ses limites de fleur calme et posée. La seconde, répondant au doux nom d'Alysée arriva quatre ans plus tard, comme un souffle d’air chaud, quelque fois impétueux et résistant farouchement à Ambre. Le contact de cette enfant volontaire et insoumise éveilla immédiatement l'instinct maternel de Nymphéa, lui apportant un certain sens de l’éducation empreint de fermeté et de profonde tendresse. Malgré l’agitation qu’entraînèrent ces deux naissances, elle grandit imperturbablement, réservée, sage et appliquée, flottant au gré des flots quiets de ses tendres années.
       - C'était une enfant hypersensible, commenta grand-mère. Ce n'est pas une maladie en soi, mais un tempérament assez rare, que personne autour d'elle n'avait réellement décelé ;  si ce n'est sa mère qui voyait en elle une enfant timide, créative, peureuse et sensible aux réprimandes. Plus que cela, elle était une élève brillante, quoique rarement première de la classe, mais plutôt seconde. Cette place-là lui convenait viscéralement et de toutes façons, elle n'aimait guère le prestige du pouvoir ni la compétition : elle était irrémédiablement et simplement Nymphéa, au sens étymologique du terme. En effet, "Numphas" en grec signifie "épouse, jeune mariée ou promise" et comme l'a si bien dit Dwight Hervey Small : "Lorsqu'un homme et une femme s'unissent dans le mariage, la nature humaine expérimente la restauration du sentiment de complétude. Ce qui fait la gloire de l'homme, c'est qu'il reconnaisse que la femme a été créée pour lui. Ce qui fait la gloire de la femme, c'est qu'elle reconnaisse que l'homme est incomplet sans elle. Ce qui fait l'humilité de la femme, c'est qu'elle reconnaisse qu'elle a été créée pour l'homme. Ce qui fait l'humilité de l'homme, c'est qu'il reconnaisse qu'il est incomplet sans la femme. Tous deux partagent la même dignité, le même honneur, la même valeur. Oui, chacun partage l'humilité face à l'autre ; chacun est forcément dépendant de l'autre". Cette place était inéluctablement celle de Nymphéa, et aussi longtemps qu'elle s'en souvienne, elle aspira à ce rôle originel d'épouse et de mère.
       Voyant l’expression changer sur le visage de ses deux petites-filles, grand-mère comprit qu’elle s’égarait dans ses pensées. Elle se ravisa d’une voix malicieuse :
       - Mais avant que notre héroïne ne parte à la recherche de son Olivier, revenons à son enfance !
       Élevée dans un monde intérieur fait de livres et de crayons de couleurs, elle a très vite aimé les mots : ces farandoles de déliés, de caractères ronds et alignés qu'elle lisait et écrivait pour s'évader. Artiste en herbe, de sa petite main appliquée, elle esquissait aussi des mondes de fleurs en tissus découpés ou en virgules d’aquarelles couchées sur des papiers détrempés. Sa grand-mère paternelle, telle la fée bleue[1], puisait l’harmonie des nuanciers et réunissait des matériaux futiles, outils de ses créations volubiles, tentant d'étancher sa soif d’encre en naïves efflorescences sur pages blanches. Nymphéa frémissait ainsi, sous les gouttes serrées des pinceaux de soie imbibée, sous leur ruissellement glacé, concepteur de roses dragées et de pois de senteurs colorés. Puis le soir venu, sous l’édredon de satinette olive, pelotonnée contre sa fée bleue, elle accédait encore à d’autres rives. Car chaque soir, mère ou grand-mère, d’une voix chuchotée, la faisait s’envoler vers d’autres contrées, au rythme des contes et des chants, d’un imaginaire débordant. Bercée par des musiciens angelots et le chant mélodieux des oiseaux, elle se sentait en sécurité derrière les persiennes fermées ou enveloppée dans les bras de sa maman, comme lovée au cœur d'une brassée de lilas à la fois tendre et enivrante, évoquant la douceur, la légèreté et le printemps.
       Nymphéa aimait dessiner, faire de la gymnastique, nager et lire, lire et lire encore toutes sortes d'aventures la faisant voyager vers d'autres continents et d'autres temps. Elle lut des centaines de livres, puis elle se mit à écrire dès l'âge de douze ans… C'était une enfant sage et studieuse, empathique et attentive aux besoins de ceux que les autres rejetaient. Elle était aussi capable de mettre en scène des spectacles ou des comédies musicales, parce que son monde intérieur n'était pas si sérieux qu'il y paraissait ; il était ludique, imaginatif, malicieux et audacieux, plein de couleurs, de musiques et de fantaisie. Nymphéa était aussi ce genre de petite fille qui aimait materner son poupon avec toutes sortes d'accessoires de nurserie, et devint une adolescente qui rêvait déjà de bébé à dorloter. Vieille âme, elle grandit en ayant souvent la sensation d’être plus mûre que son âge ne le laissait supposer…
       Sous les yeux des anges de bronze, le temps s’écoula donc… neuf, dix, onze… Mais au rythme de leur mécanisme pendulaire, un voile d’ombre couvrit peu à peu son jardin de lumière. Inéluctablement, un fil de vie se détacha de l’ouvrage de son enfance et le lâcha. La main conseillère de sa fée bleue lui échappa et même si elles ne le voulurent pas, deux lumières azur fatiguées et fragiles s’éteignirent dans un battement de cils. Alors, d’un pas de velours, dans le silence, elle dut abandonner son jardin d’insouciance, effleurant d’un dernier baiser léger, une peau de pêche pâle et fanée. Dans la pénombre d'une vieille maison de briques rouges, elle abandonna ses trésors d'enfance comme un poids dont on se libère et qui vous laisse désespérément et douloureusement vide. Celle qui était devenue sa fée bleue, la conceptrice de son univers champêtre, celle qui avait fait de son enfance un instant artistique, littéraire et insoucieux s'était évanouie à jamais, vers d’autres cieux. Accablée, elle ferma derrière elle la porte grinçante d’une vieille armoire odorante, pleine d’un bric-à-brac de jouets, de livres, de flacons de muguets, de tabatière parfumée, de beaux coquillages conservés et de souvenirs fossilisés…
       Un peu plus seule, elle grandit, cachant au creux de son cœur un cri, une larme incandescente, une soif de trésors intemporels, inestimables et infinis. La mort tel un spectre maléfique avait fermé à double tour le cadre préservé de son jardin idyllique ; c'est pourquoi à peine épanouie, Nymphéa referma, à douze ans, sa corolle opaline. Les années suivantes s’égrenèrent lentement, mornes et vides, comme si la pluie avait effacé les couleurs de la vie et délayé toutes traces d’enthousiasme puéril. En apparence, rien n’avait changé, mais son cœur était, inconsciemment et malgré elle, teinté de mélancolie et de douce nostalgie édénique.
       Dans un coin de son aquarelle délavée vinrent tout de même se dessiner d’autres souvenirs agréables qui marquèrent sa vie de quelques touches de couleurs chaudes et estivales. Ils se gravèrent dans son cœur, au cours des nombreuses escales faites sur les rives d’une île de beauté. Les pieds nus sur le granit escarpé, elle prenait en effet plaisir à escalader les rochers comme un cabri solitaire et sauvage. Elle découvrit des lagons azur dans lesquels elle plongeait avec délectation, comme si les silences marins avaient le pouvoir d'apaiser son cœur déchiré. Elle longeait avec délice le maquis aromatisé, foulait la poussière tamisée des chemins escarpés et frôlait les oliviers noueux. Elle appréciait le soleil radieux, caressait les fontaines d’eau glacée et étreignait les figuiers sucrés, découvrant avec intérêt un nouveau jardin différent et bien plus grand que celui de ses tendres années, un jardin méditerranéen annonciateur d'un futur lointain, un jardin pour grandir encore, l'éloigner de son enfance et atteindre d'autres rivages.
       Étrangement, c’est aussi à cette époque qu'elle découvrit son autre grand-mère, très différente de l’autre. Non qu'elle ne la connaissait ni ne la côtoyait auparavant, mais peut être parce que la fée bleue ayant jeté son dévolu sur elle, les précieux atouts de cette grand-mère maternelle lui avaient jusque là échappé. Elle était pourtant moelleuse comme une miche de pain ronde, douce et sensuelle et aussi sentimentale qu'un roman d’amour populaire. Alors, elle l’accompagna à l’occasion et saisit sa main sans pression, ni passion, tout en appréciant objectivement sa générosité perspicace et toute simple, ses repas gras et succulents, ses draps adoucis par l’usure, la chaleur de la brique réfractaire, l’eau ronflant dans la bouilloire et le bois craquant dans son poêle de fonte noire. Son petit nid tout simple, rempli d’objets hétéroclites, respirait l’amour et l’humilité. Par sa personnalité, cette femme lui transmit naturellement un modèle de vaillance, d’amour inconditionnel, sacrificiel et de persévérance.
       Mais un matin d’automne brumeux un autre fil de vie cassa, comme un fil de nylon que l’on tend et se rompt brusquement. Même si la mort ne triompha pas cette fois, elle frappa assez fort pour qu’une onde de choc la percute en plein cœur et la submerge d’effroi. Son grand-père paternel venait de subir une attaque cérébrale, là juste sous ses yeux et l’émotion la gagna, tant et si bien qu'elle ranima, en un instant, une vieille larme incandescente. La peur l’enserra alors comme un lourd et sombre manteau, l’entraînant par-dessus bord, dans les eaux d'un univers brumeux et glacé, très loin de ses jardins doux et feutrés. Décidément aucun fil, sur cette terre, n'était assez solide pour qu'elle s'y attache ; alors, un traumatisme en rappelant un autre, elle sombra littéralement…
       Abandonnant subitement son récit aux abords d'un gouffre terrifiant, grand-mère se dirigea lentement vers le four dont elle sortit un gâteau enveloppé d'un effluve chaud et sucré. Ses petites filles captivées par l'histoire, spéculèrent un moment, la tête dans les nuages, avant de se plonger dans leur part de dessert aux senteurs d'amandes fraîches, de beurre fondu et d'ananas sucré.


[1] La Fée Bleue symbolise réellement la marraine dans le sens premier du terme, c'est-à-dire une mère spirituelle, guidant le voyage initiatique d'un personnage (tel Pinocchio de Carlo Collodi) par ses apparitions ingénieuses.
 

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