Dédicace
Je dédie cette trilogie, écrite
dans un style fantastique, à mon fidèle Olivier toujours verdoyant auquel j'ai
entrelacé mes racines de Nymphéa depuis si longtemps, ainsi qu'à mes enfants
Noémie (surnommée Zoé dans cette histoire) et Emmanuel, à mes petites filles
Maelys et Joy, ainsi qu'à tous ceux qui se retrouveront au fil de ces pages.
Sophie Lavie
Avant propos
" Il serait parfois tellement
agréable et reposant de redécouvrir le monde qui nous entoure à travers les
yeux d'un enfant, de pouvoir se comparer à une fleur ou à un animal, d'évoluer
dans un univers grandiose et imaginaire où tout serait possible… De sa
naissance jusqu’au seuil d’un monde à venir, c'est ce que va faire Nymphéa
accrochée au fil de La Vie. Ce fil à la fois, invisible et éternel va
l'entraîner dans une aventure extraordinaire racontée de façon allégorique par
une grand-mère, voulant répondre au goût du symbole, du merveilleux, de la
parabole si profondément ancrée dans l’âme de ses petites filles alors âgées de
douze et quinze ans. Découvrez cet ouvrage comme un collier dont les perles
sont autant de révélations et d'évènements extraordinaires et précieux qui se
sont déroulés au cours de sa vie. Chacune d'elles sont enfilées sur le fil de
La Vie que le Roi Howd lui a lancé un jour et qu'elle n'a plus lâché. Plus
qu'un fil conducteur, c'est une sorte de câble indestructible qui s'ancre dans
l'éternité, c'est un cordage d'amour divin qui a uni à jamais Nymphéa et
Olivier, les héros de cette histoire. C'est une corde à trois fils qui se déroule
dans le Royaume du Trine où vivent le Roi Howd, son Fils le Prince Logos - tour
à tour Aigle et Berger - et une colombe, nommée Ruwach qui se transforme aussi en
vent. À votre tour d'attraper le bout de ce précieux collier, si vous voulez remonter
le fil de cette histoire sans fin…"
Sophie Lavie
"Dans la Grèce antique, le sumbolon
(symbole en français) était formé des deux morceaux d’un objet brisé, comme par
exemple, un cœur en argent, une flamme de feu ou une poterie peinte. La réunion
de ces deux pièces, par un emboîtement parfait, fournissait la preuve
irréfutable de leur origine commune. De la même façon, à la lecture de cet
ouvrage, le lecteur trouvera facilement, dans la foule des images qui lui sont
proposées, comme une résonnance ou un écho répondant à sa propre recherche de
spiritualité. Car cette trilogie, dont les pages semblent avoir trempé dans
l’océan, au point qu’elles laissent sur les lèvres un léger goût de sel, n’est
pas uniquement le récit du voyage géographique et temporel d’Olivier et de sa
tribu. Il est aussi celui de l’équipée, voire de l’épopée spirituelle que
vivent tous les habitants du royaume du Trine dont vous faites peut être déjà
partie, ou que vous pouvez devenir..."
MG
Introduction
Naissance
d'un nymphéa
Fermant les yeux, grand-mère caressa la couverture de cuir souple
incrustée d'éclats de sel qui recouvrait l'épais journal de bord qu'elle avait
autrefois écrit de sa main. Inspirant profondément, elle en tourna délicatement
les pages froissées et jaunies qui craquèrent comme si elles avaient longuement
macéré dans l’océan, puis séché au soleil. Se tournant vers ses petites filles,
avides de découvrir les trésors que cachaient ce vieux manuscrit, elle leur
demanda :
-
Si vous étiez une fleur, laquelle seriez-vous ?
- La marguerite folle ! s'écria Maelys
en riant. Celle qui pousse en touffes colorées sur tous les sentiers. Sa graine
est si légère qu'un simple souffle suffit à la semer, et elle change de couleur
en fonction de son âge !
- Et moi, la sensitive, cette belle
petite fleur rose en pompon qui se referme en un instant lorsqu'on effleure ses
feuilles, murmura Joy dans un sourire.
- Moi, je serais un nymphéa, poursuivit
grand-mère, parce que c'est une plante qui m'inspire à la fois la simplicité et
la délicatesse, le calme et l'harmonie, autant que la douceur et la
sensibilité. Comme posée sur les étangs dormants et poudrés, elle flotte sur
les eaux calmes, un lieu qui, à mon
sens, incite à la contemplation et à la méditation.
Se laissant emportée par la douce
fragrance florale et miellée qui se dégageait du vieil ouvrage, elle commença
alors à en lire le récit d'une voix chuchotée :
Ayant été un bébé
potelé aux joues roses et aux yeux pers, l'héroïne de cette histoire fut donc
appelé Nymphéa… Petit bouton de fleur rose et rebondi, elle étendit très vite ses
racines pour grandir et s'épanouir toute
en rondeurs et en couleurs tendres et acidulées ; mais la parure de ses pétales,
pastel comme un lait fraise, laissait aussi entrevoir des aspects plus profonds
et éclatants de sa personnalité, comme des sillons carmin et des reflets de framboises
acidulées, délicatement dessinés. Comme une fleur qui éclot, Nymphéa
naquit donc un matin de printemps, au cœur des pâturages drus et verdoyants. Et
tel un écrin ruisselant, la campagne environnante lui offrit des glycines pour
tentures et d'épais coussins d’herbes coupées pour matelas parfumé.
Grand-mère releva un instant la tête et ses
petites filles plongèrent avec insistance leurs regards dans ses yeux pers,
comme s'ils reflétaient encore l'étang poudré de naguère :
- Comparer l'héroïne de cette histoire à
un nymphéa doit aussi vous rappeler la fragilité et la fugacité de la vie qui
fait parfois de vulnérables fleurs des héroïnes malgré elles. Et puis le
nymphéa renvoie aussi l'image d'un végétal aux lignes pures et solides, sans
épines ni volutes sophistiquées, une plante aux racines profondes, féminine au
sens originel du terme. Une fleur qui se décline, ici, sur la palette des roses, parce que ces teintes, qu'elles soient rose
profond comme un bonbon, thé ou dragée, sont des sortes de friandises et de
douceurs évoquant l'équilibre et diffusant une atmosphère paisible, réconfortante,
romantique et tendre, pouvant aller jusqu'à la passion et la spiritualité la
plus ardente. C'est une fleur aquatique qui se laisse porter au gré des
courants nonchalants des étangs calmes et des vents murmurant, leur
expliqua-t-elle en aparté, avant de poursuivre sa lecture.
Contemplative, Nymphéa fut, elle aussi, une spectatrice privilégiée
d’étranges ballets aquatiques, de chorégraphies aériennes d'akènes à aigrettes,
de libellules et d'insectes marchant et dansant allègrement sur les eaux… Car
dès son plus jeune âge, elle s'est aventurée à la découverte de ce cadre maritime
et champêtre avec une insouciante curiosité, sur les traces géantes de son
papa, main dans la main ou assise dans une brouette moelleuse chargée d’herbes
fraîches ; elle a appris à apprécier la nature et à lui ouvrir tous ses sens.
Elle a fait ses premiers pas en observant les escargots gluants, en effleurant
les champignons couverts de rosée et en se piquant aux pissenlits dentés.
Barbouillée de mûres écrasées, elle a barboté parmi les truites arc-en-ciel et
dansé dans des nuées de papillons frêles ; et comme de petites naïades
virevoltantes au cœur des graminées échevelées et détrempées, ses petits doigts
ont effleuré les courants clairs et froids des rivières éblouissantes de
lumières et de frémissements éphémères.
Les saisons l'ont abreuvées de senteurs
et de couleurs, chacune l’imprégnant jusqu’au cœur. Elles ont défilé, porteuses
d’expressions, la marquant de leurs émanations : mémoire tactile et empreintes
de doigts sur le printemps, alliant douceur de pétales fraîchement éclos et
rondeur de bourgeons luxuriants ; chroniques d’été aux cerises lustrées et aux
fraises sucrées ; souvenirs de forêts d’automne avec ses châtaignes policées et
ses plumes huilées ; réminiscences d’hiver aux guirlandes de jacinthes satinées
et de neige glacée, souvenirs olfactifs d’une maison cocon qui exhalait les
baies mûres, l’arôme sucré des confitures, le vin chambré coulant vermeil et
les feux de cheminée crépitant sans pareil !
C’est ainsi qu'elle s'est ouverte à la
vie : palpant, croquant, humant, les yeux grands ouverts, émerveillés, dans les
prairies vertes et détrempées. Elle s'est imprégnée de simplicité rustique,
entourée d’animaux familiers, fidèlement gardée par un chien pataud, déambulant
parmi les canetons affamés et sautillant parmi les agneaux, caressant les
poussins duveteux et les lapereaux au pelage soyeux. Le décor de sa plus tendre
enfance avait une allure de jardin idyllique, un lieu de découverte et
d'insouciante quiétude. Elle évolua, ainsi, parmi une abondance de poires
juteuses et de framboises savoureuses, de bouquets de cassis acides et de
groseilles translucides. Elle surgissait des feuillages géants, guignait les
mange-tout bedonnants, toisait les tomates parfumées et se parait de bigarreaux
cirés. Ce jardin à la terre noire et fertile était le berceau de sa vie, son
jardin d'Eden, le lieu merveilleux de tous ses commencements.
Dans l’atmosphère bucolique de cette
nature effervescente, la rêverie n'a donc jamais quitté le domaine de ses
sensations. Son âme poétique était reliée à la terre par tous ses sens,
véritablement subjuguée par le charme de ces lieux inspirateurs. C'est ainsi
que la nature, avec ses couleurs et ses brassées de fraîcheur odorantes, a
fortement contribué à former en elle une impression de nostalgie édénienne
l'incitant à rechercher ardemment le bonheur originel. Et cette soif d'absolu
ne l'a jamais quittée, même si, elle dut bientôt partager son microcosme champêtre
avec deux petites sœurs. La première naquit deux ans après elle, au cœur de
l’automne. Elle fut appelée Ambre, parce que cette couleur lui allait à
merveille. Elle ressemblait, en effet, à une petite goutte de résine solide et
dorée cachant une petite abeille sous ses reflets de miel. C'était une enfant
turbulente qui tournoyait comme un insecte pris au piège et piquait
sournoisement pour tuer le temps et s'affirmer face à son aînée, son antonyme
qu'elle s'ingéniait à toujours pousser plus loin dans ses limites de fleur
calme et posée. La seconde, répondant au doux nom d'Alysée arriva quatre ans plus
tard, comme un souffle d’air chaud, quelque fois impétueux et résistant
farouchement à Ambre. Le contact de cette enfant volontaire et insoumise
éveilla immédiatement l'instinct maternel de Nymphéa, lui apportant un certain
sens de l’éducation empreint de fermeté et de profonde tendresse. Malgré
l’agitation qu’entraînèrent ces deux naissances, elle grandit
imperturbablement, réservée, sage et appliquée, flottant au gré des flots
quiets de ses tendres années.
- C'était une enfant hypersensible,
commenta grand-mère. Ce n'est pas une maladie en soi, mais un tempérament assez
rare, que personne autour d'elle n'avait réellement décelé ; si ce n'est sa mère qui voyait en elle une
enfant timide, créative, peureuse et sensible aux réprimandes. Plus que cela,
elle était une élève brillante, quoique rarement première de la classe, mais
plutôt seconde. Cette place-là lui convenait viscéralement et de toutes façons,
elle n'aimait guère le prestige du pouvoir ni la compétition : elle était
irrémédiablement et simplement Nymphéa, au sens étymologique du terme. En
effet, "Numphas" en grec signifie "épouse, jeune mariée ou
promise" et comme l'a si bien dit Dwight
Hervey Small : "Lorsqu'un homme et une femme s'unissent dans le mariage,
la nature humaine expérimente la restauration du sentiment de complétude. Ce
qui fait la gloire de l'homme, c'est qu'il reconnaisse que la femme a été créée
pour lui. Ce qui fait la gloire de la femme, c'est qu'elle reconnaisse que
l'homme est incomplet sans elle. Ce qui fait l'humilité de la femme, c'est
qu'elle reconnaisse qu'elle a été créée pour l'homme. Ce qui fait l'humilité de
l'homme, c'est qu'il reconnaisse qu'il est incomplet sans la femme. Tous deux
partagent la même dignité, le même honneur, la même valeur. Oui, chacun partage
l'humilité face à l'autre ; chacun est forcément dépendant de l'autre". Cette
place était inéluctablement celle de Nymphéa, et aussi longtemps qu'elle s'en
souvienne, elle aspira à ce rôle originel d'épouse et de mère.
Voyant l’expression changer sur le
visage de ses deux petites-filles, grand-mère comprit qu’elle s’égarait dans
ses pensées. Elle se ravisa d’une voix malicieuse :
- Mais avant que notre héroïne ne parte
à la recherche de son Olivier, revenons à son enfance !
Élevée dans un monde intérieur fait de
livres et de crayons de couleurs, elle a très vite aimé les mots : ces farandoles
de déliés, de caractères ronds et alignés qu'elle lisait et écrivait pour
s'évader. Artiste en herbe, de sa petite main appliquée, elle esquissait aussi des
mondes de fleurs en tissus découpés ou en virgules d’aquarelles couchées sur
des papiers détrempés. Sa grand-mère paternelle, telle la fée bleue[1],
puisait l’harmonie des nuanciers et réunissait des matériaux futiles, outils de
ses créations volubiles, tentant d'étancher sa soif d’encre en naïves
efflorescences sur pages blanches. Nymphéa frémissait ainsi, sous les gouttes
serrées des pinceaux de soie imbibée, sous leur ruissellement glacé, concepteur
de roses dragées et de pois de senteurs colorés. Puis le soir venu, sous
l’édredon de satinette olive, pelotonnée contre sa fée bleue, elle accédait
encore à d’autres rives. Car chaque soir, mère ou grand-mère, d’une voix
chuchotée, la faisait s’envoler vers d’autres contrées, au rythme des contes et
des chants, d’un imaginaire débordant. Bercée par des musiciens angelots et le
chant mélodieux des oiseaux, elle se sentait en sécurité derrière les persiennes
fermées ou enveloppée dans les bras de sa maman, comme lovée au cœur d'une
brassée de lilas à la fois tendre et enivrante, évoquant la douceur, la légèreté
et le printemps.
Nymphéa aimait dessiner, faire de la
gymnastique, nager et lire, lire et lire encore toutes sortes d'aventures la
faisant voyager vers d'autres continents et d'autres temps. Elle lut des
centaines de livres, puis elle se mit à écrire dès l'âge de douze ans… C'était
une enfant sage et studieuse, empathique et attentive aux besoins de ceux que
les autres rejetaient. Elle était aussi capable de mettre en scène des
spectacles ou des comédies musicales, parce que son monde intérieur n'était pas
si sérieux qu'il y paraissait ; il était ludique, imaginatif, malicieux et
audacieux, plein de couleurs, de musiques et de fantaisie. Nymphéa était aussi ce
genre de petite fille qui aimait materner son poupon avec toutes sortes
d'accessoires de nurserie, et devint une adolescente qui rêvait déjà de bébé à
dorloter. Vieille âme, elle grandit en ayant souvent la sensation d’être plus
mûre que son âge ne le laissait supposer…
Sous les yeux des anges de bronze, le
temps s’écoula donc… neuf, dix, onze… Mais au rythme de leur mécanisme pendulaire,
un voile d’ombre couvrit peu à peu son jardin de lumière. Inéluctablement, un
fil de vie se détacha de l’ouvrage de son enfance et le lâcha. La main
conseillère de sa fée bleue lui échappa et même si elles ne le voulurent pas, deux
lumières azur fatiguées et fragiles s’éteignirent dans un battement de cils.
Alors, d’un pas de velours, dans le silence, elle dut abandonner son jardin
d’insouciance, effleurant d’un dernier baiser léger, une peau de pêche pâle et
fanée. Dans la pénombre d'une vieille maison de briques rouges, elle abandonna
ses trésors d'enfance comme un poids dont on se libère et qui vous laisse
désespérément et douloureusement vide. Celle qui était devenue sa fée bleue, la
conceptrice de son univers champêtre, celle qui avait fait de son enfance un
instant artistique, littéraire et insoucieux s'était évanouie à jamais, vers
d’autres cieux. Accablée, elle ferma derrière elle la porte grinçante d’une
vieille armoire odorante, pleine d’un bric-à-brac de jouets, de livres, de
flacons de muguets, de tabatière parfumée, de beaux coquillages conservés et de
souvenirs fossilisés…
Un peu
plus seule, elle grandit, cachant
au creux de son cœur un cri, une
larme incandescente, une soif de trésors
intemporels, inestimables et
infinis. La mort tel un spectre maléfique avait fermé à double tour le
cadre préservé de son jardin idyllique ; c'est pourquoi à peine épanouie,
Nymphéa referma, à douze ans, sa corolle opaline. Les années suivantes
s’égrenèrent lentement, mornes et vides, comme si la pluie avait effacé les
couleurs de la vie et délayé toutes traces d’enthousiasme puéril. En apparence,
rien n’avait changé, mais son cœur était, inconsciemment et malgré elle, teinté
de mélancolie et de douce nostalgie édénique.
Dans un coin de son aquarelle délavée
vinrent tout de même se dessiner d’autres souvenirs agréables qui marquèrent sa
vie de quelques touches de couleurs chaudes et estivales. Ils se gravèrent dans
son cœur, au cours des nombreuses escales faites sur les rives d’une île de
beauté. Les pieds nus sur le granit escarpé, elle prenait en effet plaisir à
escalader les rochers comme un cabri solitaire et sauvage. Elle découvrit des
lagons azur dans lesquels elle plongeait avec délectation, comme si les
silences marins avaient le pouvoir d'apaiser son cœur déchiré. Elle longeait avec
délice le maquis aromatisé, foulait la poussière tamisée des chemins escarpés
et frôlait les oliviers noueux. Elle appréciait le soleil radieux, caressait
les fontaines d’eau glacée et étreignait les figuiers sucrés, découvrant avec
intérêt un nouveau jardin différent et bien plus grand que celui de ses tendres
années, un jardin méditerranéen annonciateur d'un futur lointain, un jardin pour
grandir encore, l'éloigner de son enfance et atteindre d'autres rivages.
Étrangement, c’est aussi à cette époque qu'elle
découvrit son autre grand-mère, très différente de l’autre. Non qu'elle ne la
connaissait ni ne la côtoyait auparavant, mais peut être parce que la fée bleue
ayant jeté son dévolu sur elle, les précieux atouts de cette grand-mère
maternelle lui avaient jusque là échappé. Elle était pourtant moelleuse comme
une miche de pain ronde, douce et sensuelle et aussi sentimentale qu'un roman
d’amour populaire. Alors, elle l’accompagna à l’occasion et saisit sa main sans
pression, ni passion, tout en appréciant objectivement sa générosité perspicace
et toute simple, ses repas gras et succulents, ses draps adoucis par l’usure,
la chaleur de la brique réfractaire, l’eau ronflant dans la bouilloire et le
bois craquant dans son poêle de fonte noire. Son petit nid tout simple, rempli
d’objets hétéroclites, respirait l’amour et l’humilité. Par sa personnalité,
cette femme lui transmit naturellement un modèle de vaillance, d’amour
inconditionnel, sacrificiel et de persévérance.
Mais un matin d’automne brumeux un autre
fil de vie cassa, comme un fil de nylon que l’on tend et se rompt brusquement.
Même si la mort ne triompha pas cette fois, elle frappa assez fort pour qu’une
onde de choc la percute en plein cœur et la submerge d’effroi. Son grand-père
paternel venait de subir une attaque cérébrale, là juste sous ses yeux et
l’émotion la gagna, tant et si bien qu'elle ranima, en un instant, une vieille
larme incandescente. La peur l’enserra alors comme un lourd et sombre manteau,
l’entraînant par-dessus bord, dans les eaux d'un univers brumeux et glacé, très
loin de ses jardins doux et feutrés. Décidément aucun fil, sur cette terre,
n'était assez solide pour qu'elle s'y attache ; alors, un traumatisme en
rappelant un autre, elle sombra littéralement…
Abandonnant subitement son récit aux
abords d'un gouffre terrifiant, grand-mère se dirigea lentement vers le four
dont elle sortit un gâteau enveloppé
d'un effluve chaud et sucré. Ses petites filles captivées par l'histoire, spéculèrent un moment, la tête dans les nuages,
avant de se plonger dans leur part de dessert aux senteurs d'amandes fraîches,
de beurre fondu et d'ananas sucré.
[1] La Fée Bleue symbolise réellement
la marraine dans le sens premier du terme, c'est-à-dire une mère spirituelle,
guidant le voyage initiatique d'un personnage (tel Pinocchio de Carlo Collodi)
par ses apparitions ingénieuses.
Note de l'auteur : si au moins 100 personnes lisent cet article, vous pourrez lire la suite...
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Publié il y a Yesterday par Eglise au Coeur de la Ville
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