Tiré de quelques écrits sur un certain Diogène, une réponse à sa
question me paraissait utile et édifiante puisque l’Homme, à défaut de
Diogène, qui mena quête vaine, je l’ai de mon coté assurément trouvé...!
Connaissez-vous l’histoire de Diogène le cynique, le philosophe de Sinope ...?
Diogène avait quitté les rues d'Athènes de bon matin, seulement vêtu de
son tribôn couleur de terre, grand manteau dont il ne se séparait
jamais, l'utilisant pour improviser le lit de sa couche dans la jarre
qu'il habitait, là où ses auditeurs venaient écouter ses discours.
Il tenait dans la main gauche son habituel
bâton de marche alors que sa légendaire lanterne l'éclairait d'un
faux-jour dans la lumière neuve de l'aube. Les Athéniens, à cette heure
matinale, dormaient encore dans le frais de leur demeure et la cité
reposait dans le calme. Calme que Diogène s'ingéniait à troubler, criant
à tout bout de champ, à qui voulait bien l'entendre une phrase qu'il
tenait pour importante :
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Et, disant cela il frappait les dalles de pierre d'une façon aussi
régulière que le battement du métronome. Quelques bons citoyens tirés
de leur sommeil par le vacarme du Cynique apparaissaient dans le cadre
d'une fenêtre, visages hirsutes, puis disparaissaient aussitôt dans
l'ombre de leurs demeures.
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Diogène ne se lassait pas de ressasser son antienne, comme si sa vie
en eût dépendu, s'éclaircissant parfois la gorge d'une goulée d'eau
fraîche puisée à sa gourde. Diogène,
en effet, ne se distrayait jamais de la tâche qu'il s'était fixée et, ce
jour-là, il cherchait l'homme, avec le
secret espoir d'en trouver enfin un. Car, vivant au fond de sa jarre,
s'il rencontrait de nombreux spécimens de l'espèce humaine, il n'en
trouvait aucun qui le satisfit pleinement.
Mais sans doute son exigence était-elle démesurée ou bien demandait-il à
ses pairs de témoigner d'un héroïsme dont ils paraissaient, pour la
plupart, faire l'économie. Certains étaient égoïstes, d'autres pleutres,
d'autres peu enclins à la morale ou à l'accueil de leurs prochains et
en tant que Philosophe, il ne pouvait se contenter de confier le genre
humain à de si piètres destinées. C'est pour cette raison qu'il battait
la campagne afin de trouver le Sujet de sa quête.
Le soleil commençait à faire sa course arquée dans le ciel et les
collines s'animaient de quelques mouvements. Bientôt il aperçut
quelques Bipèdes qui se rendaient aux champs, une houe sur l'épaule. Il
croisa des cultivateurs, il rencontra des bergers, leurs troupeaux de
chèvres et de moutons; il croisa des pèlerins qui se rendaient sans
doute à quelque temple; il croisa des porteurs d'eau, de jarres d'huile,
des porteurs de pierre se disposant à bâtir une demeure; il croisa des
mendiants une sébile à la main; il croisa des sourciers en quête d'eau;
il croisa des meuniers portant des sacs de farine, des forgerons allant
livrer des outils sortant de la forge, des potiers chargés d'amphores
ventrues et de plats de cuisine; il croisa des charpentiers et leurs
troncs mal équarris, des artistes dessinant des ramures d'oliviers; il
croisa des citoyens sans métier identifiable, des chemineaux, de
probables aristocrates, des poètes versifiant sur la beauté de la
nature, des philosophes sans doute versés dans quelque panthéisme; il
croisa donc toute une théorie d'Existants auxquels il demanda, sans coup
férir et avec la même force de conviction:
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Il ne s'attira que des regards étonnés, des physionomies fermées, des
attitudes interrogatives. Les hommes - car il s'agissait bien d'hommes
de chair et de sang -, semblaient ne pas comprendre en quoi consistait
la démarche de Diogène-le-chien. Hommes, ils l'étaient aussi bien dans
leur anatomie que dans l'exercice d'un métier ou d'une disposition à la
finitude. Certainement, ils ne pouvaient penser au sous-entendu
philosophique du penseur de Sinope, lequel remettait en cause ce fameux "l'Homme" platonicien,
cette Idée, cette Forme pareille à une essence brillant au firmament de
la pensée; les hommes terrestres, inclus dans le sensible, n'en étant
que de pâles copies. Par sa question itérative, Diogène voulait
métaphoriser l'impossibilité de "l'Homme" -
cette pure abstraction -, à figurer parmi "les hommes"concrets dans
lesquels s'inscrivait, à tout jamais, la loi irréversible de l'entropie
par laquelle leurs destins étaient scellés.
Cependant qu'il marchait et qu'il commençait à gravir la pente qui
l'amènerait au sommet d'une colline d'où se découvrait Athènes et le
bleu infini de la Mer Égée, Diogène avait perdu le sens de sa question
philosophique, ne cessant cependant de répéter son antienne aux quatre
vents :
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Là où il était arrivé ne soufflait qu'un air acide et froid, qui
n'invitait guère à la contemplation ou bien au dialogue, fût-il
platonicien. D'ailleurs, comment l'instaurer ce fameux dialogue, comment
créer les conditions d'un colloque singulier, alors que l'on est seul,
au sommet d'un monticule de terre, près du ciel, avec la mer immense à
l'horizon la lumière intense du soleil et, tout en bas, le quadrillage
anonyme de la cité, sa géométrie abstraite ?
Nul homme n'était là, Majuscule ou bien minuscule, éternel ou bien
mortel, sauf le flottement dans l'air du tribôn pareil à une voile
échouée en plein éther. Le Philosophe de Sinope était là, au bout de la
terre, tenant son bâton dans sa main droite alors que sa main gauche,
hissant la lampe à hauteur de son visage, faisait son mince crépitement
de flamme. Le jour baissait bientôt, portant avec lui des ombres déjà
longues, virant à l'outremer.
Diogène hissa la mèche de la lampe qui répandit autour d'elle un
crépuscule hésitant. Il commença à redescendre
les degrés de la colline, ne cessant de répéter la formule magique qui,
maintenant s'était vidée de son suc :
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
A mesure que Diogène redescendait les degrés de la colline, c'était
comme s'il s'était obligé à faire sienne la dialectique descendante de
Platon. Plus il progressait, plus il quittait les hauteurs de
L'intelligible, là où le Soleil vivait encore d'un merveilleux éclat,
pour plonger dans la stupeur sombre et étroite du sensible, de son
étroitesse, de son absurde contingence. Les hommes qu'il avait aperçus
lors de son ascension avaient subitement disparu, comme absorbés dans la
toile d'encre de la nuit.
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
La complainte de Diogène, parmi les rumeurs de la campagne, ne
s'imprimait guère sur les choses qu'à titre d'une dérisoire brise
existentielle. Les bergers, les potiers et autres forgerons étaient
maintenant attablés autour de quelque repas qui leur restituerait
l'énergie que le labeur leur avait ôtée. Athènes s'apprêtait à vivre ses
derniers fastes à l'abri des façades que fermaient de lourdes portes de
bois. L'agora ne bruissait plus d'aucun échange et les rumeurs
sophistiques s'étaient éteintes comme des brandons recouverts de cendre.
Déjà beaucoup dormaient, hommes malgré eux dans le sommeil qui étendait
ses larges ramures. Sans doute quelques lettrés, ou bien des poètes
faisaient-ils un tour du côté de l'Intelligible au terme de la
dialectique ascendante que le rêve mettait en place à leur insu.
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Diogène, maintenant, était arrivé au dernier palier qui le
reconduisait à sa condition sombrement végétative, entouré de ses chiens
qui, désormais seraient ses seuls interlocuteurs. Dévisageant sa
lanterne comme il l'eût fait du plus fidèle de ses compagnons afin d'y
trouver une once de réconfort, le Philosophe sut, tout à coup,
irrémédiablement, que son sort était scellé à cette jarre qui
constituait son univers, à cette absence définitive, aussi bien de
l'Homme en tant que condition suprême, que des hommes considérés à
l'aune de leurs contingences.
Là, au pied de ce temple qui contenait l'image du dieu, sur les dalles
de pierre, visibles métaphores d'un destin scellé d'avance, Diogène
savait enfin qu'il n'avait jamais été que le seul homme sur terre, que
les autres hommes n'étaient que des illusions reflétées par son esprit
incandescent ou bien des ombres que sa lampe projetait sur la mur de
quelque caverne. Cette célèbre "allégorie de la caverne", il la portait
en lui sans même en ressentir le travail souterrain qui traversait son
âme à la vitesse des comètes.
Allégorie de la caverne de Platon Livre 7 de la République
C'était comme une racine surgissant du sol qui vous emportait bien
au-delà de vous. Diogène n'avait jamais brandi sa lanterne au hasard des
rues, proférant sa phrase comme on élève un étendard, sans bien en
saisir l'urgence.
Chercher l'homme, n'était que l'amener à
briser les chaînes qui le retenaient esclave au fond de la caverne,
alors que le Bien souverain, sous l'espèce du Soleil, brillait des mille
feux de la connaissance, diffusait la couronne de la vérité dont les
hommes devaient se saisir afin de devenir cet Homme universel dédié à
la contemplation de la beauté.
Diogène, fatigué par les émotions de la journée se sustenta d'un repas
frugal, s'allongea dans les plis de son tribôn, entouré de ses chiens
fidèles alors que la nuit coulait autour de la jarre pareille aux
hésitations de la pensée avant qu'elles ne trouve son lit. Dans le ciel,
les étoiles faisaient leurs trous d'épingle; la Lune sa traînée
blanche. Les songes se répandaient partout sur l'ensemble de la terre,
envahissant la moindre parcelle cédée par la conscience.
Les hommes, endormis, avaient renoncé à tout questionnement
et leur imaginaire flottait dans le ciel comme une voile portée par les
ombres prolixes de la nuit.
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
La supplique de Diogène parcourait l'espace infini du ciel en
faisant ses étoilements libres dont on ne savait plus très bien
l'origine. Peut-être était-ce l'homme qui, dans un sublime face à face
se posait la question à lui-même, comme si, de toute éternité une telle
question n'eût jamais trouvé d'épilogue ? Peut-être était-ce,
simplement, le temps qui s'interrogeait sur la place de l'homme en son
sein : fugacité de l'instant ou bien mesure de l'éternel retour du même ?
Ou bien l'espace cherchant un lieu dans lequel faire sens ? Ou bien Ève
en quête d'Adam ? Ou bien le langage cherchant dans l'Existant une
possible assise ?
Vraiment personne ne pouvait savoir et le ciel faisait tourner ses
étoiles en attendant que le jour vienne clore cette éternelle énigme :
"Je cherche l'homme … Je cherche l'homme…".
Diogène gravissant les pentes qui le conduisent au sommet de la colline
- cette montagne en réduction -, ne fait que franchir symboliquement
les degrés qui l'amènent vers un rayonnement de l'Être, à savoir cet
Homme idéal dont il combat l'idée à défaut, sans doute, de pouvoir s'en
approcher. Mais, aussitôt entrevu, cet Être aveugle Diogène, lequel
préfère amorcer une redescente vers de plus confortables assises, celles
des hommes multiples et rassurants qui habitent les terres cultivées et
les demeures de la cité.
Perte de "L'Homme" afin de mieux retrouver "les hommes"...?
Abandon de la Transcendance afin de mieux se confier à l'immanence ?
Du
reste, il est un symbole dont Diogène est l'éternel porteur, qui
illustre cette constante fuite d'une vérité apparaissant à l'horizon. Ce
symbole est celui de la lampe dont la faible capacité ne peut guère
éclairer que les ombres alentour et révéler quelques présences proches,
humaines, animales, végétales ou bien objets divers. Diogène eût-il
confié sa vue à la puissance du soleil, alors se serait éclairée une
vérité étendant son empire aux limites de l'univers. Le soleil
illuminant la totalité, alors que la lampe ne mettait en relief que
quelques fragments successifs. Finalement tout est question de regard.
De regard de l'âme, cette belle disposition de l'être que nous sommes à
embrasser bien plus que nos propres contours pour aller au-delà des
apparences ordinaires chercher cet "Homme" que nous habitons et dont, souvent, nous nous absentons.
Diogène, mon ami, tu es comme tant d’autres, prisonniers de tes propres
limites, et la lampe de ton propre savoir, grâce à laquelle tu
t’efforces d’analyser tout ce qui t’entoure, ne te laisse satisfait et
seulement contraint de trouver en toi même la réponse qui t’obsède.
Ne pourrais-tu pas le temps d’un instant, te saisir de cette autre
Lampe, dont le poète juif, dira au Psaumes 119:105 “Ta parole est une
lampe à mes pieds, et une lumière sur mon sentier.”
Ainsi éclairé, tes ombres deviendraient réalités et l’homme tant recherché t’apparaîtrait dans toute sa beauté.
Tu y découvrirais la réponse à cette question qui te taraude, en ces
mots devenus si célèbres, prononcés par un gouverneur Romains de Judée :
“Ecce homo!” “Voici l’homme!”
Jean 19.5 "Jésus sortit donc, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : Voici l’homme. "
De cette apparition émouvante du Sauveur portant son manteau de pourpre
et sa couronne d’épines, se montrant ainsi au peuple dans les
profondeurs de son humiliation et de ses souffrances, éclairé par le
Soleil qu’il avait lui-même créé, tu aurais sans doute réalisé comme ce
gouverneur de Judée qu’il n’y avait en lui aucune raison de le
maltraiter. Cependant d’épine il fut couronné et son chemin de croix
ensanglanté.
Pilate et ses colistiers, sur une croix, pensaient l’avoir condamné
alors qu’il s’était lui-même livré, afin que des Diogène(s) puissent
enfin admirer l’HOMME qu’ils avaient tant espéré et qui pour eux avait
tout donné.
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